Le viol, comme le racisme, comme le sexisme dont il relève d’ailleurs, est le signe grave d’une pathologie socio culturelle. La société malade du viol ne peut guérir que si, en ayant fait le diagnostic, elle accepte de remettre radicalement en question les grands rouages de sa machine culturelle et son contenu »
Résumé
Avec ce nouveau livre, Karine Tuil, invite le lecteur à suivre la famille Farel dans le monde de la bourgeoisie intellectuelle parisienne où la réussite sociale n'est pas une option mais une obligation.
Jean Farel est un journaliste télévisuel à succès de 70 ans. Issu d'un milieu modeste et traumatisé par un passé douloureux, il s’accroche à son pouvoir et est obsédé par une seule idée : "Durer - c'était le verbe qui contractait toutes les aliénations existentielles de Jean Farel : rester avec sa femme ; conserver une bonne santé ; vivre longtemps ; quitter l'antenne le plus tard possible. " (p. 25)
Il a été marié à Claire une brillante essayiste, égratignée par ses positions féministes, beaucoup plus jeune que lui. Ils ont eu un fils Alexandre.
Sensible, brillant, Alexandre est un jeune homme à qui ses parents ont imposé un parcours où l'erreur n'est pas permise. Après des études à l'Ecole polytechnique, il intègre l'université de Stanford en Californie.
Tout cet édifice va se fissurer lorsque Alexandre va être accusé de viol par la fille de son beau-père. Qui est coupable, qui ne l’est pas, qui a tort, qui a raison ? On navigue dans la zone grise du déni ou du mensonge.
Mon avis
Le roman de Karine Tuil se divise en deux parties. La première décrit, de façon chirurgicale, la vie familiale et professionnelle de cette famille bourgeoise. L'auteure transmet tout ce qui traverse les personnages, ce qui leur est singulier mais aussi ce qui les constitue. Elle capte la complexité de chacun. Les personnages de Claire et Alexandre sont attachants, quelque peu victimes de leur condition sociale. Le personnage de Jean Farel est détestable, obnubilé par son image, sa carrière et son petit pouvoir ; il en est pathétique.
La seconde partie relate à la perfection la procédure judiciaire depuis le dépôt de plainte jusqu'au verdict. Passionnante, haletante, chaque étape apporte son lot de surprises.
Dans Les choses humaines (ou Quand tout dégringole), Karine Tuil traite de façon intelligente et réaliste les différences entre les classes sociales, la mécanique impitoyable de la justice, les casseroles que l’on traîne. Profondément féministe, ce roman questionne les valeurs, la morale, les intuitions profondes, le seuil de tolérance, la capacité à s'indigner ou à pardonner. Il démontre toute la complexité qu’il y a à être famille de la victime ou celle du bourreau et donne de la force à son propos en s’appuyant sur des faits largement médiatisés (les plaidoiries de Gisèle Halimi, l’affaire Lewinsky, DSK, le mouvement #MeToo…) pour montrer le chemin parcouru et surtout celui qui reste à parcourir pour qu’un viol ne soit plus jamais considéré comme une regrettable erreur d’interprétation. Il s’agit ici d’une profonde réflexion sur la condition féminine, la violence de la société qui valorise la performance, celle des réseaux sociaux qui valorisent le narcissisme. Et derrière tout cela, il met en exergue la fragilité des êtres, leur solitude, le fait que chacun à tout moment peut basculer. A mon avis, c'est un roman d’une très grande profondeur dont on sort abasourdi tant par la justesse que par le brio de la démonstration. J'ai apprécié les chapitres courts, le style limpide et sans concession. Au-delà des faits, l’analyse est intéressante et fait découvrir si besoin en est la machine judiciaire.
Très bon moment de lecture !
Extraits
Ils n’échangèrent plus aucun mot pendant un moment, respectant malgré eux le cycle écrasant de la mélancolie, cette alternance d’acceptation et de révolte, de désir de renouvellement aussitôt transmuté en apathie, rien n‘était fixe, tout oscillait, l’amour et la haine, c’était un flux qui allait et venait, offrait et reprenait, charriant les décombres d’un amour qui avait été, pendant un temps, l’édifice central de leur vie. p 256
… les femmes osent raconter ce qui leur est arrivé. Les agressions sexuelles, les viols, les attouchements, le harcèlement, les abus de toutes sortes, le temps du silence et de la honte est passé. Il se joue aujourd’hui quelque chose d’historique pour les femmes. p 311
J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et je vois désormais le monde à ta façon…
J’ai tout appris de toi…
Aragon (Que serai-je sans toi)